Cocoa farm workers in Côte d’Ivoire

Les entreprises de chocolat sont confrontées à des risques de déforestation liés à des approvisionnements en cacao de source inconnue

Un manque de transparence quant à la déforestation dans la chaîne d’approvisionnement du cacao entraîne des risques de réputation et de réglementation pour les négociants en produits de base et les fabricants de chocolat.

11 Jan 2022

Erasmus zu Ermgassen

Photo credit: Les producteurs de cacao en Côte d’Ivoire (credit: André Quillien/Alamy)

Le chocolat se complaît dans le mystère – quelles saveurs rencontrerez-vous dans votre boîte de Noël ? Que dissimule la case de votre calendrier de l’Avent ? De quelle part de déforestation votre tablette de chocolat est-elle à l’origine ? Combien d’enfants ont travaillé pour la produire ?

Ces deux derniers mystères ne sont probablement pas ce que les marques de chocolat ont en tête. Pourtant, la réalité en Côte d’Ivoire, pays d’Afrique de l’Ouest d’où proviennent plus de 40 % des fèves de cacao dans le monde, est que les producteurs de cacao ne gagnent pas un revenu vital, plus de trois quarts de million d’enfants travaillent sur des plantations de cacao et un cinquième du cacao est cultivé dans des « zones protégées ». Le cacao est également l’une des principales causes de déforestation dans le monde, car les forêts continuent d’être défrichées pour faire de la place à de nouvelles plantations de cacao.

Les consommateurs comptent sur les entreprises de la chaîne d’approvisionnement – détaillants, fabricants et négociants – pour s’assurer que les produits qu’ils achètent ne sont pas associés à ces impacts négatifs. Mais que savent les entreprises mondiales de chocolat de leurs chaînes d’approvisionnement ? Trase présente ici de nouvelles données qui révèlent l’origine et le degré de transparence des exportations de cacao provenant de Côte d’Ivoire.

Voyage d’une fève de cacao

Les cabosses de cacao sont récoltées à la main par des centaines de milliers de petits agriculteurs à travers la Côte d’Ivoire, qui ouvrent chaque cabosse avec un coutelas pour en extraire les fèves délicates.

Ces fèves de cacao sont soit achetées « directement » auprès de coopératives de producteurs de cacao par des négociants en cacao internationaux, tels que Barry-Callebaut (une entreprise suisse/belge/française), Cargill (entreprise américaine), Cémoi (entreprise française), Touton (entreprise française) et Ecom Agroindustrial (entreprise suisse), soit achetées « indirectement » via d’autres intermédiaires locaux (« pisteurs » et « traitants ») qui vont chercher les fèves de cacao dans les villages locaux, les regroupent, puis concluent des accords avec les négociants qui peuvent prendre tout d’abord possession des fèves dans un entrepôt près du port.

Depuis le port, les fèves sont ensuite exportées vers des pays comme les Pays-Bas, les États-Unis, la Belgique et la Malaisie, où elles sont transformées en beurre de cacao et, pour finir, transformées en marques de chocolat que vous reconnaissez et aimez.

Bien que les entreprises aient une certaine visibilité sur l’origine des fèves achetées directement par le biais de coopératives, et puissent même avoir un contact direct avec les cultivateurs par le biais de formations et d’autres formes de soutien, l’approvisionnement indirect est une boîte noire – origine inconnue.

Pour mieux comprendre la production de cacao et les risques qui y sont associés, Trase a cartographié la chaîne d’approvisionnement du cacao de la Côte d’Ivoire à l’aide de données de production et de commerce accessibles au public.

On a pu en premier lieu imputer l’origine des fèves de cacao à des régions (départements) spécifiques de la Côte d’Ivoire, en combinant des données d’expédition détaillées sur les quantités exportées par chaque négociant en 2019 avec des informations provenant des entreprises de cacao sur les coopératives agricoles auprès desquelles elles s’approvisionnent.

Plus des deux tiers de toutes les exportations ont été traités par des négociants divulguant quelques informations sur leurs fournisseurs (55 %) ou exportés par les coopératives de producteurs elles-mêmes (13 %). Les volumes achetés par chaque négociant auprès des coopératives ont été estimés à partir du nombre de cultivateurs membres de chaque coopérative et des données sur la production de cacao par cultivateur ; le reste du cacao provenant indirectement de sous-traitants.

Les approvisionnements indirects et non divulgués sont des zones d’ombre

Les nouvelles données de Trase révèlent l’ampleur du défi auquel les entreprises sont confrontées pour retracer le parcours du cacao de la fève à la tablette.

Dans l’ensemble, il est possible de retrouver la coopérative d’origine de moins de la moitié (44 %) des fèves de cacao exportées de Côte d’Ivoire grâce aux données accessibles au public. Le reste provient indirectement d’intermédiaires locaux auprès desquels s’approvisionnent des négociants majeurs (24 %), ou est exporté par des négociants qui ne divulguent aucune information sur leurs fournisseurs (32 %). La fraction de l’approvisionnement direct par rapport à l’approvisionnement indirect varie selon les négociants. Environ 30 % de l’approvisionnement d’Olam et de Barry Callebaut est indirect, tandis que l’approvisionnement indirect de Sucden et de Touton s’élève à plus de 60 %.

Cela signifie que les entreprises de négoce de cacao et les fabricants de chocolat plus loin sur la chaîne d’approvisionnement ne savent pas d’où provient une grande partie – dans certains cas la majorité – de leur cacao.

Les règles relatives au devoir de diligence jouent un rôle important

Malgré son ampleur, l’approvisionnement indirect n’est pas pris en compte dans la plupart des rapports des entreprises sur le développement durable. La Cocoa & Forests Initiative (CFI), par exemple, est une initiative multipartite entre le gouvernement ivoirien et 35 entreprises de chocolat et négociants en cacao de grande envergure qui gèrent plus de la moitié des exportations de cacao de la Côte d’Ivoire. Les membres de la CFI soumettent des rapports d’activité annuels sur l’approvisionnement durable, cependant ces rapports se limitent aux seuls volumes dont l’approvisionnement est direct. Les membres de la CFI signalent que 74 % du cacao acheté directement est traçable jusqu’à la plantation. Lorsqu’on ajoute l’approvisionnement indirect, le pourcentage global de cacao traçable baisse à un niveau plus proche de 50 %.

Ce manque de transparence pourrait devenir un risque réglementaire pour les entreprises. L’UE, qui achète les deux tiers des exportations de cacao de la Côte d’Ivoire, a proposé une législation sur le devoir de diligence qui impose aux entreprises l’obligation légale de démontrer que les produits importés ne sont pas liés à une déforestation récente. Cette législation comprend une obligation d’identifier la plantation d’origine des produits présentant un risque de déforestation, tels que le cacao.

L’approvisionnement indirect est diffus, comprenant des relations informelles et fluides entre les cultivateurs et les intermédiaires locaux, ce qui rend la détermination des plantations d’origine des fèves de cacao extrêmement difficile, voire impossible.

Nécessité de trouver des solutions collaboratives

Une solution concerne l’action collaborative au niveau du paysage. Comme le démontre Trase, il est plus facile d’attribuer l’origine du cacao à des départements ou des paysages spécifiques qu’à des plantations spécifiques. Pour contrôler la déforestation et tenir compte de l’approvisionnement indirect, les entreprises pourraient collaborer, définir, mesurer et améliorer la durabilité pour des paysages entiers, plutôt que de se concentrer sur une chaîne d’approvisionnement (directe) spécifique.

En 2017, la CFI a identifié quatre domaines prioritaires en Côte d’Ivoire afin de faire avancer cette approche. Son rapport d’activité le plus récent décrit ces projets comme « en cours de mise en place », indiquant la nécessité de réaliser de plus grands progrès.

Outre l’approvisionnement indirect, un tiers (30,3 %) des importations dans l’UE sont gérées par de plus petites entreprises commerciales qui ne divulguent pas d’informations sur leurs fournisseurs en Côte d’Ivoire. Bien qu’une plus grande transparence soit requise de la part de ces petites entreprises, l’établissement de la traçabilité peut représenter un défi excessif.

Un soutien pourrait être apporté par le Conseil du café et du cacao (CCC) de Côte d’Ivoire, qui investit dans la cartographie GPS des plantations de cacao et exploite déjà une base de données en ligne pour assurer la traçabilité des fèves de cacao depuis le premier acheteur (la coopérative ou le pisteur/traitant) jusqu’au port. Rendre ces données publiques dissiperait les préoccupations potentielles des entreprises au sujet de la divulgation d’informations sensibles d’un point de vue commercial et permettrait à toutes les entreprises commerciales, quelle que soit leur taille, de déterminer l’origine des fèves de cacao.

Le chocolat jouit d’une place particulière à Noël et lors de nombreuses autres célébrations. Pourtant, le manque de transparence quant à la provenance de la majorité des approvisionnements mondiaux en cacao, ainsi que ses liens avec la déforestation et d’autres impacts, présente des risques pour les négociants, les fabricants et les détaillants. Le travail de Trase pour cartographier la chaîne d’approvisionnement du cacao représente la première étape importante pour comprendre ces risques et les combattre.

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